Joothan, Omprakash Valmiki

Décidément, les éditions L’Asiathèque nous gâtent en plus du très bon Salaam du même auteur. Joothan (« Les restes » en hindi) est l’autobiographie d’un auteur dalit, probablement non romancée. Né en 1950 dans une famille de balayeurs (une des castes les plus basses), Omprakash Valmiki porte sa caste avec son nom. Valimiki signifie « balayeur » dans une partie de l’Inde. Le récit de son enfance relate des évènements d’une grande dureté, non seulement à cause de la pauvreté, des aléas climatiques, mais surtout par le fait de la méchanceté des personnes de castes supérieures ou intermédiaires. Après avoir lu ce livre, avons-nous encore le droit de dire « Ohhh les Indiens sont tous adorables ? ». Pas entre eux en tout cas. J’ose me consoler en pensant que son enfance concerne l’Inde des années 1950, juste après l’Indépendance. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Ce livre n’est pas sans défaut : des éléments semblent inintéressants, le style n’a rien d’exceptionnel et ce n’est pas un livre écrit pour le lecteur : j’ai sauté des lignes devant cette litanie de prénoms et de noms. Toutefois, ces défauts sont aussi des qualités.

Le style simple, que j’avais déjà repéré dans le recueil de nouvelles Salaam, est en fait voulu :

« J’étais plus attiré par les œuvres traitant de sujets de société que par celles purement esthétiques. »

Si Valmiki est un expert de la littérature indienne et il a même lu de grands auteurs étrangers (Hugo et Balzac), dans cette autobiographie, il ne se complique pas la vie à peaufiner ses écrits, sauf quand il s’agit d’une phrase contre l’attitude d’un Indien de haute caste :

« Lorsque les dalits se dressaient pour affirmer leur fierté, on les accusait de castéisme. Ceux qui proféraient cette accusation étaient eux-mêmes les défenseurs les plus fanatiques de leur propre caste. »

De plus, les évènements racontés sont tellement violents que l’auteur peine à écrire :

« En vérité, écrire Joothan a été si violent pour moi une véritable torture. Chaque mot de ce livre a ravivé des blessures que je m’efforçais d’oublier. »

Valmiki nous offre ainsi un livre politique, son livre cri, pleure, tremble. S’il cite autant de noms, c’est pour leur rendre hommage ou pour régler ses comptes.

Ce livre écrit en deux parties 1997 et 2013 (juste avant sa mort) est l’œuvre d’un auteur reconnu, mais qui est avant tout un acteur, un homme de théâtre, un homme politique dans le sens de « qui s’occupe des affaires de la cité ». Il n’a pas été élu, mais son action dépasse celle de bien des hommes politiques, y compris dalits. Athée (ou attiré par la religion bouddhiste ?), il refuse de changer de nom quitte à ne pas trouver d’appartement ou être mis à l’écart dans une société. Son nom devient pourtant sa marque de fabrique, Valmiki est publié en anglais et en français, en français grâce à une équipe de passionnés à l’Asiathèque. Son père et sa mère, qui sont allés jusqu’à se priver de nourriture pour qu’il étudie et obtienne un petit emploi correct, n’auraient jamais pu imaginer la destinée de leur fils brillant, opiniâtre, généreux et courageux. Un grand livre écrit par un homme exceptionnel.

Vous pouvez le commander ici :

Au fait, il faut que je vous dise de Chantal Cadoret

Je remarque, par hasard, que Chantal Cadoret, qui est une de mes lectrices, a publié un récit autobiographique sur la gestation pour autrui (GPA). Je suis en train d’écrire et il est question justement de ce thème. Chantal Cadoret tient un blog et a publié deux autres livres.  

Je suis content de l’avoir lu Au fait, il faut que je vous dise, j’ai pu apprendre quelques points, qui me seront utiles pour développer mes personnages. Ce livre n’est pas celui d’une célébrité, c’est l’histoire d’une mère et de son fils entre « coming-out » et projet bébé par une mère porteuse à Chicago.

Ce sont des pages noircies avec cœur, un récit à deux voix : la mère et le fils. Je vais proposer à ma mère de le lire. J’ai été touché par l’amour inconditionnel de cette mère pour son fils, l’amour de son père aussi, bien qu’il ait réagi plus difficilement, au début. Chantal Cadoret a beaucoup de courage de publier sous son nom, d’affronter le regard des autres, un regard qui blesse encore plus quand il concerne son enfant, j’imagine.

Voici ce qui est formidable quand on lit un auteur indépendant, on peut échanger avec lui. Chantal Cadoret a écouté mes remarques et nous avons débattu. Ce qui est beau avec ce type de livres, c’est que son histoire se poursuit après la lecture.  Ce livre trouvera son public, surtout grâce à la personnalité de la femme qui est derrière.

Vous pouvez le découvrir ici et ses deux autres.

Salaam d’Omprakash Valmiki

Les recueils de nouvelles n’ont jamais été mes premiers choix. Tout d’abord, parce qu’il est difficile de faire mieux que Maupassant, mon maître absolu, et je ne suis guère friand des fins sèches sans avoir eu le temps parfois de cerner davantage les décors et les personnages. Autrement dit, une partie de moi pensait que les nouvelles permettent à des auteurs paresseux d’écrire.

Belle erreur, je ne peux que recommander cette lecture pour plusieurs raisons.

Premièrement, ce livre est le travail de toute une équipe, notamment de traducteurs, un cadeau d’une maison d’édition pour promouvoir un écrivain particulier. J’ai apprécié la présentation de l’auteur, de l’ouvrage, la note liminaire et le glossaire des mots hindis. Tout est  étudié avec soin et pensé avec sincérité. Voici une quatrième de couverture des plus réussies.

Deuxièmement, toutes ces nouvelles comportent un intérêt, sans que l’une soit la seule réellement attrayante alors que d’autres meubleraient. Vous allez les dévorer toutes, vous pouvez même les lire dans le désordre.

Enfin, vous allez être malmenés lors de la lecture, comme si vous preniez des claques, que vous souffriez d’injustice. « Il raconte des faits de quelle époque ? », « Ça existe encore aujourd’hui ? ». Une part de l’Inde se livre à vous, celle des campagnes ou des ruraux fils d’intouchables. L’auteur sait de quoi il parle, né dans une famille des balayeurs-éboueurs. Il m’a fallu digérer chaque nouvelle, prendre le temps de réfléchir sur son message. C’est ce que j’aime d’un film ou d’un livre : qu’il me pousse à la réflexion, une réflexion simple, juste en tant qu’humain. L’émotion est fine, on ne tire pas les larmes du lecteur dans un bidonville. Certaines nouvelles rappellent La Rempailleuse de Maupassant, pour les thèmes évoqués (le sacrifice financier, l’amour pour un proche).

Quant au style, il est sobre, clair, mûr, sans artifice ni recherche élaborée. Omprakash Valmiki s’intéresse plus à faire passer un message, avec succès, plutôt que d’impressionner par son talent. S’est-il autolimité en tant que dalit ? Les phrases sont courtes, dynamiques et chaque nouvelle pourrait être l’objet d’un court-métrage.

Mes félicitations à l’Asiathèque pour ce beau travail, je vais lire de ce pas un deuxième livre de cet auteur : son autobiographie.

Vous pouvez commander ses ouvrages ici :