Entremêlées, Ster

J’ai rencontré Ster, dessinatrice et scénariste dans un salon du livre LGBTQI+. Ce livre est une merveille, un vrai coup de coeur. Ster a su, à 23 ans, écrire un livre d’une grande maturité.

De nombreux thèmes sont présents : le racisme, le communautarisme, le féminisme, les différences de valeurs dans un couple, la tolérance, etc.

Certes, je ne partage pas les idées du personnage principal, mais ce roman graphique m’a fait réfléchir sur moult thèmes, avec la force du texte allié à la douceur du dessin.

À mettre entre le plus de mains possibles. Je l’ai acheté pour ma nièce de 8 ans, mais elle le lira à partir de 12 ans^^.

La décision, Karine Tuil

Une partie de la quatrième de couverture, car le reste en dit trop, comme trop souvent : « Mai 2016. La juge Alma Revel doit se prononcer sur le sort d’un jeune homme suspecté d’avoir rejoint l’État islamique en Syrie. À ce dilemme professionnel s’en ajoute un autre, plus intime : mariée, Alma entretient une liaison avec l’avocat qui représente le mis en examen ». 

J’ai rédigé une thèse de droit et j’ai reconnu sans effort une juriste reconvertie en écrivaine. Karine Tuil s’est parfaitement renseignée et a souhaité allier le meilleur des juristes, un souci de clarté, tout en évitant leur style d’habitude ampoulé.

Ce livre est percutant, prenant et nous encourage à la réflexion.

En ce qui me concerne, la juge Alma Reval me rappelle bien des juristes et bien des personnes. Ces personnes qui se considèrent comme irremplaçables et ne peuvent arrêter. Elle aurait pu et dû passer la main. Le concert de trop, le combat de trop, l’élection de trop, le livre de trop, l’exposition de trop, le film de trop, la chirurgie de trop, et ici, l’affaire de trop.

Un petit bémol : je comprends la volonté des auteurs de ne pas partir sur des dialogues trop familiers, mais les expressions du suspect ne m’ont pas paru toujours crédibles.

J’ai hâte de découvrir d’autres romans de cette autrice tant les réflexions m’ont paru cinglantes :

Leur vie, c’était le charme discret de la grande bourgeoise intellectuelle parisienne, les vacances dans la maison familiale de l’île de Ré où chaque membre possédait son bol en faïence à son nom et où l’on évoquait ses idées progressistes sous l’œil détaché des femmes de ménage sous-payées de baby-sitters de moins de vingt ans que les hommes les plus charismatiques de la famille pouvaient encore espérer toucher au milieu des années 70 sans avoir peur d’être inquiétés.

Dans le jardin de l’ogre, Leïla Slimani.

Dans le jardin de l’ogre est le premier livre de Leïla Slimani, publié en 2014, avant son Goncourt en 2016 pour Chanson Douce. J’ai vraiment apprécié ce court récit.

Je n’ai été ni choqué ni malmené par l’histoire de cette nymphomane mariée, mère d’un enfant. Peut-être parce que je reste souvent à distance des livres que je lis. Comme l’autrice, je ne porte pas de jugement sur cette femme qui se met en danger pour assouvir des pulsions sexuelles.

Au niveau du style, le choix du présent et du passé composé ainsi que des phrases courtes confèrent au récit une simplicité contrebalancée par un souci du détail.

Slimani est une autrice que j’aimerais relire. Le talent est certain.

Sous les oeillets la révolution, Yves Léonard

Un petit livre synthétique et vivant pour nous expliquer le 25 avril 1974 au Portugal. L’auteur expose un « matin qui vient de loin », avant de présenter le jour J puis quelques pistes de réflexion sur l’après.

Dans un style agréable, l’auteur réalise la prouesse de faire simple et court, à nous d’approfondir quand cela nous intéresse. Justement, l’avant et le jour J m’ont passionné. J’ai retrouvé des informations exposées dans des musées (comme l’ancienne prison politique de Peniche) ou l’ancien siège de la police politique.

En revanche, la troisième partie (l’après) m’a paru une succession de déclarations d’hommes politiques, plus de la science politique.

Un cadeau idéal pour les amateurs d’histoire comme moi.

Paris-Briançon, Philippe Besson

Je découvre enfin Philippe Besson, après en avoir entendu tant parler et en bien. Sa réputation est méritée.

Paris-Briançon raconte le huis clos entre une dizaine de passagers dans un train de nuit : des jeunes, des retraités, des quadragénaires aux personnalités simples sans être simplistes. Ni sombre, ni joyeux, ni doux, ni violent, ni niais ni prétentieux, le train de nuit Paris-Briançon avance à son rythme, sous une plume experte de son auteur.

Dans ce récit court et maîtrisé de bout en bout, j’ai été particulièrement admiratif des descriptions efficaces et percutantes. De plus, l’auteur délivre sans opinion sans aucune agressivité, alors que ses idées sont tranchées. Un livre diplomate, je dirais.

Connus pour ses livres brefs, Besson et Nothomb peuvent séduire le même public, à la différence que Besson ne cherche ni l’humour ni le détail superfétatoire.

Un auteur que j’ai envie de découvrir plus en profondeur. M. Besson, si vous lisez ces lignes, nous serions ravis de vous inviter à un live de ce type.

Mon Mari, Maud Ventura

Je m’attendais à un livre niais et mal écrit.

Si le style est très correct, pour un premier roman, j’avoue que j’ai été conquis par l’histoire. L’histoire d’une quadragénaire qui connaît toujours la passion pour son mari 15 ans après.

Je suis ravi d’avoir lu une histoire d’une femme plus épouse que mère.

Je suis ravi d’avoir lu une histoire avec une protagoniste pas attachante (les autres me paraissent mièvres) qui m’a fait penser à Paulette, dans Les Dettes de Je.

Je suis ravi d’avoir été à la fois calmé (oui, elle se répète) et retourné.

Je suis ravi de la maîtrise du sujet par l’autrice. C’est crédible, surtout d’un point de vue psychologique.

Pour les petites critiques, j’aurais aimé qu’elle n’utilise le mot « mari » que pour le sien (« époux » pour les autres). Ça nous aurait épargnés quelques « maris ». Mais la protagoniste aime tellement ce mot… De plus, j’ai trouvé deux petites inconhérences dans le personnage qui n’a qu’une « amie » puis « des amis ». L’autrice est plus jeune, elle aurait dû mettre une femme moin âgée.

Belle surprise ce livre.

Le silence et la colère, Pierre Lemaitre

Je suis un grand admirateur de Pierre Lemaitre, mon avis manquera d’objectivité. Il dresserait sa liste des courses à Auchan, je le trouverais meilleur que bien des auteurs.

Ce qui me fascine, chez lui, est la description et la complexité des personnages. Ce talent lui vient de ses premiers amours : des romans policiers, romans qui imposent des figures saisissables. Il est capable de dénicher un détail qui rend le personnage facilement identifiable. On a l’impression que Lemaitre a une formation de peintre.

Le Silence et la Colère est le deuxième tome d’une trilogie, une saga familiale, après la Seconde Guerre mondiale. Voici la quatrième de couverture :

Deux personnages m’enchantent :  

– Geneviève, la bru insupportable et surprenante qui réveille et amuse le lecteur !
– Louis me touche toujours en plein cœur. Un père aimant, un homme bon.

Et cette fois-ci, Jean, le fils aîné, prend de l’épaisseur. On s’attache à cet homme alors qu’il commet les pires actes.

Ce qui m’a laissé sur ma faim est cette fin écrite à la va-vite. La scène entre Jean et le gérant aurait dû être développée et des personnages secondaires sont vite évoqués.

Certains détails sur cette période me semblent superfétatoires (Lemaitre n’est pas un historien) ou faciles, comme une allusion à la pédophilie des prêtres.

Peu importe. C’est un très bon livre, moins bon que le précédent, Le Grand Monde (qui m’avait un peu ennuyé au début puis surpris), mais qui ne nous empêchera pas de nous ruer sur le suivant.

Le sang des Belasko, Chrystel Duchamp

Une des meilleures fins que j’ai lues depuis quelque temps. Souvent, je décroche à vingt pages de la fin et il m’arrive de ne pas finir un livre à quelques pages ! Ou lire en diagonale. Avec Le Sang des Belasko, je trouvais les mésaventures de cette famille too much… jusqu’à ce que Chrystel Duchamp nous explique où elle voulait nous emmener. Et je n’avais rien vu venir.

J’avais vraiment envie de lire une querelle de famille et la personnification de la maison du premier chapitre m’a encouragé à acheter ce livre.

L’histoire : 5 frères et sœurs, après le décès de leur père, se retrouvent dans leur maison d’enfance. Une maison aussi séduisante et inquiétante qu’eux. Mon imagination était trop faible pour envisager ce qu’ils allaient vivre.

Le style de l’autrice est simple, sans être simpliste. J’aime vraiment cette agression entre Philippe et son frère Mathieu :  

En moins de cinq secondes, Philippe fut saisi par le col de sa chemise et éjecté de sa chaise qui bascula et heurta le parquet dans un fracas sourd. Sur la table les verres tintèrent et la bouteille de vin se renversa, auréolant la nappe blanche d’une tache purpurine. Garance et Solène, terrorisées par cette brutalité sou- daine, se levèrent en criant. David marchait sur les traces de la bête, mais elle était plus rapide que lui. Elle empoigna Philippe et le plaqua contre une cloison. La violence du choc le fit tousser. Une douleur vive irradia l’arrière de son crâne. Quelque chose coula dans son cou. Au-dessus de sa tête, mille étoiles se lancèrent dans une valse endiablée. Il ouvrit lentement les yeux et la bête apparut devant lui, le visage déformé par la haine. Si personne ne l’arrêtait à temps, elle ne ferait qu’une bouchée de lui. Transpirante, haletante, elle le maintenait contre le mur avec une force colossale. Elle éructait en libérant une salve de postillons. L’écume de la rage moussait autour de ses lèvres.

Les descriptions sont efficaces, j’ai visualisé la maison. J’aurais aimé quelques descriptions physiques ou plus percutantes des personnages, et une psychologie plus subtile.

Malgré cela, les pages s’enchaînent avec clarté et cette fin extraordinaire marque ce livre et me donne de connaître davantage son univers. Une réussite.

Les mots immigrés, Erik Orsenna et Bernard Cerquiglini

« Et si les mots immigrés, c’est-à-dire la quasi-totalité des mots de notre langue, décidaient de se mettre un beau jour en grève ? »

Les deux auteurs nous offrent un conte sur l’histoire de la langue française, des mots gaulois (je savais déjà qu’ils étaient peu nombreux, comme « alouette » et « tonneau »), latins, grecs, italiens, anglais, allemands, régionaux… Ce court livre, qui se dévore en une heure, se révèle très instructif, pour les amoureux de la langue française et notamment de l’étymologie. J’ai par exemple appris que « caramel », « fétiche » et « marmelade » étaient portugais. J’aurais dit français pour les deux premiers et anglais pour le troisième.

Plus surprenant, ce livre est engagé, il se moque de l’extrême droite. Il est certain que les mots ne connaissent pas de frontières, ils les traversent, pour revenir parfois sous une autre forme.

Ce que j’ai apprécié dans leur réflexion est d’évoquer 3 points qui guident mon écriture :

– Un hommage aux ressources de la francophonie. J’ai déjà utilisé dans mes livres le merveilleux « égoportrait » et le truculent « divulgâcher ». J’admire l’inventivité de l’Office québécois de la langue française qui répond souvent très bien à toutes nos recherches en ligne.

– Un hommage aux langues régionales. Je suis de Montpellier et je recours à des mots occitans comme « s’enfader ».

– Une critique du franglais que l’on retrouve dans le monde de l’entreprise :

« Alors pourquoi, mais pourquoi, vous, Français, ne parlez-vous plus français ? Pourquoi renoncer à vos mots ? Vous savez que vous êtes ridicules ? « L’équipe de direction, qui travaille en espace ouvert, a confié la légende de l’entreprise à un laboratoire d’idées. » C’est clair, non ? Tout le monde comprend. Alors pourquoi ce galimatias : le staff du manager, qui coworke en open space, a confié le storytelling à un think tank ? »

J’essaie d’éviter pas mal d’anglicismes quand j’écris, car j’estime que c’est un combat à mener. Certains trouvent que ce choix des mots est ridicule ou artificiel, mais sincèrement, I don’t give a shit.

Voici en tout cas un cadeau sympa pour tous les curieux.

Aranea, La légende de l’Empereur, Alexandre Murat

Au cours d’une émission littéraire sur internet où je participe tous les vendredis, j’écoute l’interview d’Alexandre Murat, un descendant de Joachim Murat. Séduit par l’amabilité de cet homme, je lui commande son livre. Vous le savez peut-être, comme je paye mes livres, je me sens libre dans mes chroniques.

Alexandre Murat signe son premier roman, un thriller historique. Deux groupes s’affrontent aux quatre coins du monde pour trouver 7 aigles en argent légués par Napoléon avant sa mort.

Aranea sera sans cesse comparé aux livres de Dan Brown. Le Da Vinci Code est plus haletant, mais Aranea réveille en nous un intérêt, une fierté pour certains, vis-à-vis du Premier Empire.

Aranea est un accrolivre, « page turner » si vous préférez. La lecture s’enchaîne avec fluidité, de cours chapitres exposent une histoire intéressante et compréhensible. Pour un premier roman, le style paraît maitrisé, l’éditeur a entrepris sûrement un réel travail. Alexandre Murat domine son sujet et les codes d’un tel roman. Il a entrepris un travail de recherches qu’il nous livre sans pédanterie.

Si les personnages sont clairement identifiables, j’aurais aimé qu’ils gagnent en profondeur, tout comme les descriptions. À voir si Alexandre Murat s’impose plus dans son deuxième roman, car il y en aura un autre, j’en suis certain.