Paris-Briançon, Philippe Besson

Je découvre enfin Philippe Besson, après en avoir entendu tant parler et en bien. Sa réputation est méritée.

Paris-Briançon raconte le huis clos entre une dizaine de passagers dans un train de nuit : des jeunes, des retraités, des quadragénaires aux personnalités simples sans être simplistes. Ni sombre, ni joyeux, ni doux, ni violent, ni niais ni prétentieux, le train de nuit Paris-Briançon avance à son rythme, sous une plume experte de son auteur.

Dans ce récit court et maîtrisé de bout en bout, j’ai été particulièrement admiratif des descriptions efficaces et percutantes. De plus, l’auteur délivre sans opinion sans aucune agressivité, alors que ses idées sont tranchées. Un livre diplomate, je dirais.

Connus pour ses livres brefs, Besson et Nothomb peuvent séduire le même public, à la différence que Besson ne cherche ni l’humour ni le détail superfétatoire.

Un auteur que j’ai envie de découvrir plus en profondeur. M. Besson, si vous lisez ces lignes, nous serions ravis de vous inviter à un live de ce type.

Mon Mari, Maud Ventura

Je m’attendais à un livre niais et mal écrit.

Si le style est très correct, pour un premier roman, j’avoue que j’ai été conquis par l’histoire. L’histoire d’une quadragénaire qui connaît toujours la passion pour son mari 15 ans après.

Je suis ravi d’avoir lu une histoire d’une femme plus épouse que mère.

Je suis ravi d’avoir lu une histoire avec une protagoniste pas attachante (les autres me paraissent mièvres) qui m’a fait penser à Paulette, dans Les Dettes de Je.

Je suis ravi d’avoir été à la fois calmé (oui, elle se répète) et retourné.

Je suis ravi de la maîtrise du sujet par l’autrice. C’est crédible, surtout d’un point de vue psychologique.

Pour les petites critiques, j’aurais aimé qu’elle n’utilise le mot « mari » que pour le sien (« époux » pour les autres). Ça nous aurait épargnés quelques « maris ». Mais la protagoniste aime tellement ce mot… De plus, j’ai trouvé deux petites inconhérences dans le personnage qui n’a qu’une « amie » puis « des amis ». L’autrice est plus jeune, elle aurait dû mettre une femme moin âgée.

Belle surprise ce livre.

Le silence et la colère, Pierre Lemaitre

Je suis un grand admirateur de Pierre Lemaitre, mon avis manquera d’objectivité. Il dresserait sa liste des courses à Auchan, je le trouverais meilleur que bien des auteurs.

Ce qui me fascine, chez lui, est la description et la complexité des personnages. Ce talent lui vient de ses premiers amours : des romans policiers, romans qui imposent des figures saisissables. Il est capable de dénicher un détail qui rend le personnage facilement identifiable. On a l’impression que Lemaitre a une formation de peintre.

Le Silence et la Colère est le deuxième tome d’une trilogie, une saga familiale, après la Seconde Guerre mondiale. Voici la quatrième de couverture :

Deux personnages m’enchantent :  

– Geneviève, la bru insupportable et surprenante qui réveille et amuse le lecteur !
– Louis me touche toujours en plein cœur. Un père aimant, un homme bon.

Et cette fois-ci, Jean, le fils aîné, prend de l’épaisseur. On s’attache à cet homme alors qu’il commet les pires actes.

Ce qui m’a laissé sur ma faim est cette fin écrite à la va-vite. La scène entre Jean et le gérant aurait dû être développée et des personnages secondaires sont vite évoqués.

Certains détails sur cette période me semblent superfétatoires (Lemaitre n’est pas un historien) ou faciles, comme une allusion à la pédophilie des prêtres.

Peu importe. C’est un très bon livre, moins bon que le précédent, Le Grand Monde (qui m’avait un peu ennuyé au début puis surpris), mais qui ne nous empêchera pas de nous ruer sur le suivant.

Le sang des Belasko, Chrystel Duchamp

Une des meilleures fins que j’ai lues depuis quelque temps. Souvent, je décroche à vingt pages de la fin et il m’arrive de ne pas finir un livre à quelques pages ! Ou lire en diagonale. Avec Le Sang des Belasko, je trouvais les mésaventures de cette famille too much… jusqu’à ce que Chrystel Duchamp nous explique où elle voulait nous emmener. Et je n’avais rien vu venir.

J’avais vraiment envie de lire une querelle de famille et la personnification de la maison du premier chapitre m’a encouragé à acheter ce livre.

L’histoire : 5 frères et sœurs, après le décès de leur père, se retrouvent dans leur maison d’enfance. Une maison aussi séduisante et inquiétante qu’eux. Mon imagination était trop faible pour envisager ce qu’ils allaient vivre.

Le style de l’autrice est simple, sans être simpliste. J’aime vraiment cette agression entre Philippe et son frère Mathieu :  

En moins de cinq secondes, Philippe fut saisi par le col de sa chemise et éjecté de sa chaise qui bascula et heurta le parquet dans un fracas sourd. Sur la table les verres tintèrent et la bouteille de vin se renversa, auréolant la nappe blanche d’une tache purpurine. Garance et Solène, terrorisées par cette brutalité sou- daine, se levèrent en criant. David marchait sur les traces de la bête, mais elle était plus rapide que lui. Elle empoigna Philippe et le plaqua contre une cloison. La violence du choc le fit tousser. Une douleur vive irradia l’arrière de son crâne. Quelque chose coula dans son cou. Au-dessus de sa tête, mille étoiles se lancèrent dans une valse endiablée. Il ouvrit lentement les yeux et la bête apparut devant lui, le visage déformé par la haine. Si personne ne l’arrêtait à temps, elle ne ferait qu’une bouchée de lui. Transpirante, haletante, elle le maintenait contre le mur avec une force colossale. Elle éructait en libérant une salve de postillons. L’écume de la rage moussait autour de ses lèvres.

Les descriptions sont efficaces, j’ai visualisé la maison. J’aurais aimé quelques descriptions physiques ou plus percutantes des personnages, et une psychologie plus subtile.

Malgré cela, les pages s’enchaînent avec clarté et cette fin extraordinaire marque ce livre et me donne de connaître davantage son univers. Une réussite.

Les mots immigrés, Erik Orsenna et Bernard Cerquiglini

« Et si les mots immigrés, c’est-à-dire la quasi-totalité des mots de notre langue, décidaient de se mettre un beau jour en grève ? »

Les deux auteurs nous offrent un conte sur l’histoire de la langue française, des mots gaulois (je savais déjà qu’ils étaient peu nombreux, comme « alouette » et « tonneau »), latins, grecs, italiens, anglais, allemands, régionaux… Ce court livre, qui se dévore en une heure, se révèle très instructif, pour les amoureux de la langue française et notamment de l’étymologie. J’ai par exemple appris que « caramel », « fétiche » et « marmelade » étaient portugais. J’aurais dit français pour les deux premiers et anglais pour le troisième.

Plus surprenant, ce livre est engagé, il se moque de l’extrême droite. Il est certain que les mots ne connaissent pas de frontières, ils les traversent, pour revenir parfois sous une autre forme.

Ce que j’ai apprécié dans leur réflexion est d’évoquer 3 points qui guident mon écriture :

– Un hommage aux ressources de la francophonie. J’ai déjà utilisé dans mes livres le merveilleux « égoportrait » et le truculent « divulgâcher ». J’admire l’inventivité de l’Office québécois de la langue française qui répond souvent très bien à toutes nos recherches en ligne.

– Un hommage aux langues régionales. Je suis de Montpellier et je recours à des mots occitans comme « s’enfader ».

– Une critique du franglais que l’on retrouve dans le monde de l’entreprise :

« Alors pourquoi, mais pourquoi, vous, Français, ne parlez-vous plus français ? Pourquoi renoncer à vos mots ? Vous savez que vous êtes ridicules ? « L’équipe de direction, qui travaille en espace ouvert, a confié la légende de l’entreprise à un laboratoire d’idées. » C’est clair, non ? Tout le monde comprend. Alors pourquoi ce galimatias : le staff du manager, qui coworke en open space, a confié le storytelling à un think tank ? »

J’essaie d’éviter pas mal d’anglicismes quand j’écris, car j’estime que c’est un combat à mener. Certains trouvent que ce choix des mots est ridicule ou artificiel, mais sincèrement, I don’t give a shit.

Voici en tout cas un cadeau sympa pour tous les curieux.

Aranea, La légende de l’Empereur, Alexandre Murat

Au cours d’une émission littéraire sur internet où je participe tous les vendredis, j’écoute l’interview d’Alexandre Murat, un descendant de Joachim Murat. Séduit par l’amabilité de cet homme, je lui commande son livre. Vous le savez peut-être, comme je paye mes livres, je me sens libre dans mes chroniques.

Alexandre Murat signe son premier roman, un thriller historique. Deux groupes s’affrontent aux quatre coins du monde pour trouver 7 aigles en argent légués par Napoléon avant sa mort.

Aranea sera sans cesse comparé aux livres de Dan Brown. Le Da Vinci Code est plus haletant, mais Aranea réveille en nous un intérêt, une fierté pour certains, vis-à-vis du Premier Empire.

Aranea est un accrolivre, « page turner » si vous préférez. La lecture s’enchaîne avec fluidité, de cours chapitres exposent une histoire intéressante et compréhensible. Pour un premier roman, le style paraît maitrisé, l’éditeur a entrepris sûrement un réel travail. Alexandre Murat domine son sujet et les codes d’un tel roman. Il a entrepris un travail de recherches qu’il nous livre sans pédanterie.

Si les personnages sont clairement identifiables, j’aurais aimé qu’ils gagnent en profondeur, tout comme les descriptions. À voir si Alexandre Murat s’impose plus dans son deuxième roman, car il y en aura un autre, j’en suis certain.

Le Grand Monde, Pierre Lemaitre

Je suis un admirateur de Pierre Lemaitre, j’ai lu tous ses livres, policiers ou romans picaresques (je préfère les picaresques, par goût en général).

Le Grand Monde raconte une année folle d’après seconde guerre mondiale de 4 enfants d’un couple très aisé, à Paris, au Liban et en Indochine. Un aîné maladroit, malheureux et tueur en série, un cadet qui arrête ses études pour être journaliste, un garçon qui part en Indochine retrouver son amant et une benjamine libre et rebelle.

Cette fois-ci, je me suis dit « C’est un peu longuet au début ». « Tiens des phrases que je ne comprends pas » (Pour ne pas comprendre un tel auteur, il faut être limité, je me suis inquiété quant à ma santé mentale). Je me sentais prêt et près d’écrire une chronique sévère.

Et puis, et puis… Deux personnages qui m’ont touché : Louis, le père aimant et Geneviève, la bru insupportable et plein de ressource. Lemaitre est excellent pour décrire les personnages, dans tous ses livres.

Autre chose : ce livre m’a surpris, les rebondissements m’ont enchanté, les clins d’œil subtils à l’actualité, l’humour… Il s’en prend encore aux juges, avec un simplet cette fois-ci.

Le seul défaut de Lemaitre est de donner envie aux autres auteurs d’arrêter d’écrire, victimes du syndrome de l’imposteur.

J’ai envie de relire Au revoir là-haut, son chef d’œuvre pour vérifier si le Grand Monde reste en dessous.

Dans la brume du Darjeeling, Mikael Bergstrand

N’en déplaise à tous ceux qui n’aiment pas qu’un Blanc écrive sur l’Inde, l’Afrique, la Chine ou tout lieu hors de la Norvège : ce livre est réussi. Il faut vraiment être tordu pour y voir du racisme ou du colonialisme.

Après Les Plus belles mains de Delhi, qui m’avait beaucoup plu, nous retrouvons Gorän. Ce Suédois, la cinquantaine, divorcé, plein de défauts attachants, a retrouvé en Suède toutes ses mauvaises habitudes. Il a hâte de retourner en Inde pour le mariage de son ami Yogi. Cette amitié, née dans le premier livre, se forge dans le second. Dans la brume du Darjeeling est une histoire d’amitié.

J’ai aimé ce livre, que l’on peut qualifier de roman de gare masculin.

J’y ai encore retrouvé des moments que j’ai vécus en Inde. L’auteur se sert d’un un avantage : il y a habité ET il y a travaillé. Mikael Bergstrand sait comment cela fonctionne pour régulariser sa situation, nouer des contacts professionnels, faire les courses, etc. J’ai souri et j’ai ri avec certaines anecdotes.

Surtout, ce livre m’a plu car j’aurais aimé l’écrire. Le mien est un récit autobiographique non romancé : plus dur, plus triste, écrit à chaud. Avec Dans la brume du Darjeeling, nous lisons un roman léger et amusant.

Le style me semble un peu plus recherché que pour le premier, mais très accessible : cela permet de terminer la lecture en deux jours, sans se concentrer.

Je trouve ce deuxième volet réussi, bien qu’un peu répétitif par rapport au premier. Il présente toutefois l’avantage de s’attarder sur des personnages secondaires, comme la mère de Yogi. J’ai apprécié la fin, que je n’ai pas vu venir. Je lirai le troisième avec plaisir.

L’Anomalie, Hervé Le Tellier

Attention, chef d’œuvre. En cette année 2022, j’ai lu ou écouté une quarantaine de livres. Si je devais en retenir un seul, ce serait L’Anomalie.

Je n’avais rien lu d’aussi original et marquant depuis des années. Hervé le Tellier nous surprend à chaque chapitre, modifie le style pour servir le récit, joue avec la typographie. Il maîtrise son livre de A à Z pour nous offrir un OVNI littéraire.

Comme d’habitude, je ne vous raconte pas l’histoire mais voici la quatrième de couverture pour ceux qui aiment les lire :


Certains reprochent à ce livre d’être confus, il est pourtant très clair à condition d’accepter d’être un lecteur actif, ce que ne demandent plus les best-sellers contemporains mièvres.


Deux ou trois chapitres m’ont moins intéressé, mais l’ensemble est si riche et pensé, que ce livre mérite amplement son prix Goncourt et beaucoup mieux : une lecture.

Mohini ou l’Inde des femmes, Rose Vincent

Je n’avais guère envie d’ouvrir ce livre. Je ne suis pas le lecteur idéal pour les récits d’une bourgeoise occidentale sur les bourgeoises indiennes.

Je me suis trompé : Mohini ou l’Inde des femmes est à lire.

Je peux être peau de vache, j’en conviens. Qualifier Rose Vincent, une résistante, une journaliste, de « bourgeoise » pour être femme d’ambassadeur en Inde, c’est facile. J’en ai le droit ! Parce que ce livre est une biographie de Mohini et de sa famille, à travers de nombreux thés au cours desquels Rose Vincent intervient. Cela fait partie du jeu quand on s’expose. Je m’en prends des réflexions à cause de mon autobiographie de prof en Inde, Bonjiour Miéssieur. Rien que sur le titre, les imbéciles tiquent. Imbécile que je suis, la photo de l’autrice sur la couverture me démotivait, j’avais l’impression d’une pub pour le café en vente par correspondance dans les années 80, vous vous en souvenez ? C’était une famille de 4 personnes…

Ce livre a été publié en 1978, il a vieilli. Mais est-ce un problème ? Et si c’était sa force ? Si ce livre avait un intérêt historique ? Pour moi, oui. Par exemple quand Rose Vincent constate qu’il y a plus de députés femmes (elle ne met pas le mot au féminin) en Inde qu’en France (9 à l’époque). De plus, Rose Vincent n’a pas ménagé ses peines, elle a même appris l’hindi.

Le style est clair et rigoureux, plutôt journalistique, l’ensemble est équilibré, un peu comme chez Dominique Lapierre (ils ont à peine 13 ans de différence). C’est quand même mieux que bon nombre de best-sellers actuels.

Ce livre m’a permis d’en savoir davantage sur l’Inde et les femmes, deux sujets qui me passionnent. Merci Rose Vincent !