Au cœur de l’Inde, Amandine et Éric Chapuis

Amandine et Éric,

Grâce à un groupe sur Facebook, Livres et films sur l’Inde, j’achète d’occasion un livre, le vôtre. Jamais entendu parler, mais c’est vrai qu’à part La Tresse et La Tatoueuse de Jaipur, peu de livres sont présentés plusieurs fois.

Votre long récit parsemé de photos raconte votre incroyable voyage de noces : 4400 kilomètres à pied du Kerala à l’Himalaya, en 2005/2006.

Votre histoire de plus de 300 pages m’a accompagné pendant mes déjeuners au restaurant pendant plusieurs semaines. Je lisais un chapitre ou deux, ils sont courts et se lisent aisément.

Vous ne me connaissez pas, mais j’ai écrit aussi un livre autobiographique sur mon expérience indienne, celle d’un homme en pleine rupture enseignant dans un collège huppé. Vous êtes allés en Inde par amour pour ce pays et pour sceller votre union, j’y suis allé pour fuir la mienne.

Je crois que vous avez écrit ce livre pour vous, pour vous souvenir de ces milliers d’instants, magiques ou pénibles. J’ai écrit de la même manière, pour enlever de nombreuses pages ensuite. Je pense que vous avez coupé des passages aussi, surtout à la fin, au rythme plus rapide qu’au début. Bon, on le saura que vous avez été invités par un Indien à prendre un thé. Vous ne vouliez pas oublier ceux qui vous ont aidés. En 9 mois de marche, le risque est réel.

Contrairement à mon livre, même si vous avez pris des notes, le vôtre n’est pas écrit à chaud, ce qui présente l’avantage ou l’inconvénient de lisser le récit.

L’autre différence notable est votre grande pudeur. Vous ne vous exposez pas, ne râlez pas, ne vous délivrez pas, ne vous plaignez pas. Ceci présente l’avantage de se concentrer sur l’Inde et les Indiens. Vous vous êtes très bien documentés. En revanche, « choisir, c’est renoncer » et vous avez renoncé à nous embarquer avec vous. Je suis un marcheur (1500 kilomètres entre Le Puy-en-Velay et Saint-Jacques) et je n’étais pas parmi vous. Je me suis senti comme un marcheur à trente mètres derrière. Par exemple, vous retrouvez le frère d’Amandine à Mumbai et votre famille plus tard. C’est juste mentionné, rien n’est dit. J’imagine pourtant l’émotion d’une telle scène. J’aurais aimé en savoir plus sur vous, vos joies, vos colères, vos projets… Votre livre est pudique, sur les Indiens, c’est très bien aussi. Toutefois, votre récit intéressera moins les personnes non amoureuses de l’Inde.

Comme le mien, votre livre se termine par la fin du voyage. Je me suis senti orphelin alors je vous ai retrouvé, vous Éric, sur LinkedIn. Vous êtes devenu agent immobilier. Sur le site de l’éditeur, on apprend que vous avez deux enfants, mais que vous vous êtes séparés. Comment se remet-on d’un tel voyage ? Je crains que vous ne vous en soyez jamais remis, car vous avez bien connu l’Inde, au cœur en effet, dans des conditions souvent difficiles (pluie, route, dormir à même le sol, blessures, infections, puces, tendinites, parasites…).

Bien sûr, comme tout livre sur l’Inde, Au cœur de l’Inde présente quelques maladresses, notamment la photographie d’une petite fille en train de faire ses besoins. Je doute que vous aimiez une telle photo sur vos enfants. Mais c’était 2005, on était moins conscients de ces problématiques. Mon livre présente lui aussi quelques maladresses, mais ceux qui critiquent en ont-ils écrit un ?

Personne ne peut dire que vous ne connaissez pas ce pays, en l’ayant traversé à pied. Vos phrases sonnent juste :

« Car n’est-ce pas ainsi que l’Inde se révèle généreuse et horripilante, solidaire et individualiste, oppressante et rassurante, pleine de contradictions et pourtant si cohérente ? Vision chamarrée d’un peuple tout en subtilité qui rend ce pays si attirant. »

J’ai passé un bon moment avec vous. Je vous admire et je vous remercie pour ce partage.

Grand-père avait un éléphant de Vaikom Muhammad Basheer

Voici un conte (court, il se lit en moins de deux heures) traduit du malayalam, une langue parlée notamment dans le Kérala. Vaikom Muhammad Basheer est un auteur connu en Inde, une figure indépendantiste.

C’est l’histoire d’une riche jeune fille dont la famille de notables musulmans perd tout. Ses parents cherchaient un homme riche, de grande famille, et très croyant. Désormais, que va-t-elle devenir ?

Je ne sais pas si c’est la traduction, mais le style de l’auteur ne m’a pas transporté autant que celui d’Omair Ahmad dans Le Conteur.

En revanche, l’intérêt de ce livre est de rappeler, s’il fallait le faire, que l’Inde est un grand pays musulman, comme je l’ai vite compris pendant mon séjour à Ajmer, ville sainte de l’Islam. Vaikom Muhammad Basheer critique une conception rigoriste de la religion à travers le personnage de la mère, une femme hautaine, méchante, agressive et intolérante alors que la jeune fille, le père et les voisins pratiquent un islam de paix, d’amour et de générosité.

Vous pouvez l’acheter ici, ainsi que le Conteur :

La Cité de la joie, de Dominique Lapierre

En 1992, j’ai vu le film et j’ai lu le livre. J’avais 10 ans. L’ai-je vraiment lu ? Je me rappelle l’avoir eu entre mes mains, lu quelques pages, mais suis-je allé au bout ? Je n’ai pas pu tout comprendre, il se peut que je l’aie lu avec mon regard d’enfant. J’ai sûrement saisi l’essentiel : un prêtre français, un Indien tireur de rickshaw et un médecin américain arrive dans ce quartier où règne la grande misère. Le religieux veut ressentir toute sa foi, épurée des conditions matérielles. L’Indien doit nourrir sa famille après avoir dû quitter ses terres. Le médecin cherche à vivre une forte expérience avant de rejoindre sa vie dorée à Miami.

Trente ans plus tard, je le relis. L’Inde a changé et moi aussi. Certains reprochent à ce livre d’être misérabiliste et d’avoir donné une mauvaise image de l’Inde. Dominique Lapierre en est conscient et avertit le lecteur.

De toute manière, est-ce la faute d’un auteur si des lecteurs extrapolent ? Un livre sur la France rurale n’aurait rien à voir avec celle des banlieues, et pourtant c’est la France. Il faut méconnaître l’Inde pour croire que l’Inde de Calcutta des années 1970 représente Calcutta en 2020 et a fortiori, le reste de l’Inde qui est un sous-continent, vaste et complexe. Je n’ai connu qu’une goutte d’eau de l’océan Indien, comme professeur dans un collège huppé, et toute une vie ne suffirait pas. Toutefois, j’ai été ravi de retrouver les méandres de l’Administration indienne « Please, sit », « Have a tea », « tomorrow ». Et La Cité de la joie prouve encore que les Indiens acceptent toutes les religions ou les sectes. Le pire semble pour eux l’absence de religion.

Ce livre, loin d’avoir mal vieilli, reste un livre catholique, je veux dire par là « universel » (katholikos = universel en grec). Oui, Dominique Lapierre croit surement en Dieu. Jean-Paul II trouvait que ce livre est « une leçon d’espoir et de foi pour le monde ». L’auteur s’est inspiré de deux religieux occidentaux pour créer le personnage du prêtre. J’imagine bien que ces hommes en prêchant la bonne parole ont converti des Indiens. Il ne l’écrit pas dans le livre, au contraire, car cela rendrait le prêtre agaçant.

Le style de Dominique Lapierre se montre toujours aussi clair et précis. Un point particulier : il sait restituer des monologues, des témoignages, en les insérant dans le texte, avec juste des guillemets français « » puis des guillemets anglais « » pour un dialogue à l’intérieur.

Gandhi aurait aimé ce livre pour la tolérance, l’amour, la simplicité qu’il prône, sans être naïf. Ce qui doit énerver certains est qu’un aussi bel ouvrage soit le fruit d’un Occidental, suivant le créneau de « Les Indiens écrivent mieux sur leur propre pays ». Avec un tel raisonnement, Patrick Süskind n’aurait pas pu offrir son chef-d’œuvre, Le Parfum.

40 millions d’exemplaires vendus pour La Cité de la joie et il ne cessera jamais d’être lu.

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